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L’activité de traduction est de plus en plus présente dans notre société actuelle. À l’heure de la mondialisation et du développement des technologies de l’information et de la communication, la traduction de documents est requise dans de nombreux domaines pour toucher un vaste public. Si certains de ces domaines sont politiquement corrects, d’autres sont plus problématiques et controversés. Prenons par exemple un article de presse à connotation raciste ou vantant les bienfaits des armes. Est-ce réellement éthique de traduire cet article ? Existe-t-il un code déontologique interdisant aux traducteur·trice·s ou aux agences de traduction de traduire certains contenus ?

Toute activité professionnelle répond aujourd’hui à un code de déontologie et la profession de traducteur·trice n’échappe pas à la règle. Chaque professionnel·le s’engage à respecter une certaine ligne de conduite. Cependant, aucune règle n’interdit à un·e traducteur·trice de traduire un quelconque contenu. Cela étant, une agence de traduction se doit-elle d’accepter n’importe quel mandat pour autant ? Il va de soi que non. Il lui revient donc l’agence de traduction de fixer ses propres règles éthiques. Mais comment déterminer si un texte est trop immoral ou licencieux pour être traduit ?

Un magazine sur les armes n’a-t-il pas le droit d’être traduit sous prétexte qu’il pourrait choquer certaines personnes ? Le fait que les gens ne soient pas d’accord sur certains sujets, qu’ils aient des opinions politiques ou religieuses différentes ne permet pas de juger de l’éthique et donc de la traductibilité d’un texte. La probabilité qu’un jour les gens s’entendent sur toutes les thématiques est très mince – on le voit à la multiplication de polémiques dans les réseaux sociaux, mais nous ne traduisons souvent que pour un public cible précis et très rarement pour l’ensemble d’une population.

En outre, refuser un mandat signifie fermer ses portes à un client et, par conséquent, produire moins. S’il est aisé pour certains de refuser des mandats, cela l’est moins pour d’autres. Mais notre équipe est d’avis qu’il serait nuisible de renoncer à ses principes pour de l’argent.

La question de la réputation doit aussi être considérée. Comme les traducteurs restent bien souvent anonymes et travaillent dans l’ombre, pourquoi devraient-ils s’abstenir de traduire des documents controversés si cela ne leur pose pas de problème moral et qu’ils peuvent omettre de citer le nom des clients susceptibles de porter préjudice à leur réputation ? Le fait est que traduire des textes jugés non éthiques par soi-même, certaines personnes ou par la majorité de la population peut causer du tort à une agence ou à un traducteur dans la mesure où, à l’instar de toute personne travaillant dans un secteur à l’opposé de ses convictions ou de ses valeurs, cette posture n’est pas supportable longtemps. Il vaut parfois mieux se concentrer sur ses domaines de prédilection et éviter toute traduction qui pourrait offusquer ou être en contradiction avec ses valeurs.

À partir de là, comment établir la frontière entre ce qui est moral et ce qui ne l’est pas ? Si le domaine de la pornographie peut choquer, il ne peut pas être classé parmi les contenus non éthiques, pour autant qu’il s’agisse de contenus par et pour adultes consentants. Il s’agit d’un domaine spécialisé parmi tant d’autres qui mérite également de trouver sa place dans l’activité de traduction. Seul·e·s des traducteur·trice·s spécialisé·e·s en la matière accepteront un mandat relatif à ce sujet et les élu·e·s car ils sont plutôt rares. Il en est de même pour le domaine de la défense. Si les textes n’ont pas un caractère violent ou illégal, il n’y a pas de raison valable, d’un point de vue éthique, de refuser de les traduire.

Cherchons plutôt à savoir ce qui n’est pas éthique. Tout texte contenant des propos xénophobes, sectaires, ou texte à caractère illégal, insurrectionnel, violent, fallacieux ou malhonnête n’est pas moral et ne devrait pas être traduit. De tels textes ne devraient pas être rédigés ni même pensés dans la moindre langue.

Monde globish ou rebabelisation ? A contrario, il est intéressant de noter la récente controverse qui a révélé le manque de diversité pour les personnes souhaitant des femmes noires pour traduire la poétesse afro-américaine Amanda Gorman qui a fait sensation avec son poème « The Hill We Climb » lors de la traditionnelle investiture du président américain en 2021. À notre avis, la question du genre et des origines vient fausser le débat : de la même manière qu’un·e écrivain·e est légitime pour se glisser dans la peau d’un personnage d’une autre couleur, sexe, confession, rang que les siens, une femme l’est tout autant pour traduire des documents dans la mécanique ou l’aérospatial qu’un homme dans la mode ou le féminisme. Nos préjugés révèlent bien souvent nos lignes de faille.

Ainsi, il n’existe pas de règles universelles d’éthique pour savoir si un document peut être traduit ou non. Il revient à l’indépendant·e ou à l’agence de traduction de décider où placer le curseur entre ce qui est à ses yeux moral ou immoral. Au sein d’une équipe, il s’agira de tenir compte des opinions, pouvant être divergentes, de toutes les personnes, et de prendre une décision finale en anticipant les éventuelles conséquences. Si certaines notions telles que les appels à la haine, à la violence ou au racisme ne devraient pas avoir leur place dans des documents, la diffusion comme la traduction de ces derniers est une question épineuse. Dans tous les cas, il s’agit de prendre une décision et de l’assumer jusqu’au bout.